
De temps en temps, je reçois sur Instagram le message d’un nouveau collectif artistique, club libertin, événement kinky, groupe de musique ou maison de production. Le message dit : “regarde ce qu’on fait, il y a du sexe, tu vas adorer”.
Je souhaite bon courage à quelqu’un qui tenterait cette stratégie avec un scénographe de musée (“il y a de la peinture, tu vas adorer”) ou avec un journaliste gastronomique (“il y a de la nourriture, tu vas adorer”).
Ceci dit, je devrais être habituée : notre culture traite la sexualité comme un monde à l’envers – en l’occurrence, un monde où l’expertise serait inversement proportionnelle à l’esprit critique. Dans ce monde-là, le mot sexperte est interchangeable avec le mot “passionnée”. Je vous rassure, l’un n’empêche pas l’autre. Mais sexperte est mon métier, pas un hobby.
Donc j’ouvre le message et là, je vois le traditionnel dégradé noir-rose-rouge (arc-en-ciel pour les queers), quelques paires de fesses qui gambadent, un téton, un toy, une cravache, un talon-aiguille, bref les suspects habituels – et vogue le navire.
Souvent, le résultat est aussi joli dans sa forme que consternant en termes d’inventivité.
C’est ce que j’appelle l’érotisme “touristique”. Les concepteurs du projet sont venus en low-cost et repartent au bout d’un week-end. Ils ont choisi d’aborder la sexualité pour s’amuser un moment, se faire connaître, se donner le frisson du risque (scoop : ça n’est pas risqué)… après ça, ils redeviendront des gens respectables qui parlent d’amour (pour les artistes) ou de thune (pour les autres).
Malheureusement pour ces touristes, je suis une résidente permanente, avec passeport et vaccins à jour.
Pour moi, la sexualité est un territoire qui mérite mieux qu’un safari. Par ailleurs, je suis désolée d’annoncer cette triste nouvelle au monde entier, mais il est rare qu’on révolutionne un domaine auquel on ne s’intéresse pas.
On peut être le meilleur photographe du monde, mais si on n’a pris que trois photos érotiques dans sa vie, on ne va pas faire des miracles en termes de représentation du corps. Je n’essaie pas de jouer la gardienne du temple (y’a pas de temple), mais je voudrais rappeler que la sexualité ressemble au reste du monde : le travail paie, il ne suffit pas de mettre un téton pour qu’un contenu devienne cool.
Bien sûr, les touristes sont les bienvenus. Mais quand je regarde leurs créations, j’ai le même sentiment que quand on me montre des photos de vacances : ce coucher de soleil ressemble à n’importe quel autre coucher de soleil. C’est très bien, mais ça n’est pas révolutionnaire.