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Au sujet du mot “révolutionnaire”

/ BACKSTAGE

Dans le monde de la sexualité, tout est révolutionnaire, tout le temps. Du moins si j’en crois les communiqués de presse que je reçois.

Un nouveau sextoy ? Révolutionnaire.

Une nouvelle idée ? Révolutionnaire.

Le missionnaire le samedi soir lumière éteinte ? Révolutionnaire.

Je comprends tout à fait que le job des attachés de presse consiste à m’intéresser à tel ou tel produit, mais je préférerais qu’on n’insulte pas trop mon intelligence au passage. Que certains neurones soient assoupis, perturbés par le manque de sommeil ou confits par trente années d’apéros dînatoires, c’est une certitude – et pourtant mon cerveau peut encore servir, je vous jure.

Je sais bien que nous autres expertes genre & sexo (le métier est presque intégralement féminin) sommes les chiennes de la casse du journalisme. Je sais bien que nous sommes confondues avec des influenceuses (astuce pour nous différencier : nous ne sommes pas payées par des marques). Je sais bien que le monde de la sexualité est censé être rigolo, et qu’on ne va pas se prendre la tête avec des histoires de dictionnaire.

Mais tout de même. Les mots ont une signification. Faire semblant de confondre évolution et révolution, c’est une insulte à l’intelligence. 

En genre & sexo, les évolutions sont constantes mais les révolutions sont rares. 

Les textes les plus modernes que j’ai lus sur le clitoris datent des années 70. 

2007 est une date importante, parce que la pornographie arrive dans notre poche.

Quant à la dernière petite révolution qu’a connue la pratique sexuelle, c’était le Womanizer en 2014 : les femmes ont pu accéder à des sensations intégralement nouvelles, normalement hors de portée de l’expérience humaine, et extrêmement efficaces. (Si je parle d’une “petite” révolution, c’est parce que la sexualité des femmes était déjà en voie de cyborgisation depuis plus d’un siècle.)

Du coup, quand un énième email me propose un Womanizer dont la seule innovation consiste à être mauve / recyclable / plus silencieux / waterproof, ce n’est pas la peine de rajouter des points d’exclamation et de le qualifier de révolutionnaire (!!!).

De même qu’il ne suffit pas d’écrire en rouge “une fable puissante” pour rendre un texte intéressant. Au passage : ce qui est vrai pour le mot “révolutionnaire” l’est aussi pour le mot “puissant”, tellement essoré qu’il ressemble à un vieux t-shirt informe. Ne parlons pas des essais qui “renversent la table” ou “redéfinissent la féminité”. Pour qu’une autrice (c’est toujours une autrice) “révolutionne votre sexualité”, elle a intérêt à s’être levée tôt le matin. 

Face aux communiqués de presse, j’oscille entre la révolte et le renoncement.

Peut-être que je suis juste blasée et que je devrais me reconvertir dans l’industrie pétrolière, laissant ma place toute chaude à une jeune chroniqueuse, qui ouvrirait ses emails comme on ouvre une malle aux trésors : “waou, un sextoy révolutionnaire !” (mais bien sûr, les jeunes chroniqueuses sont trop malines pour tomber dans le panneau).

Finalement, peut-être que je me comporte comme la vieille dame que je suis devenue, attachée aux formes, à la mémoire de son métier sans mémoire (la sexualité s’écrit sur de l’eau). Peut-être devrais-je me réjouir de ne pas céder aux sirènes de la révolution permanente : chroniquer les petites ondulations du désir et du plaisir, c’est beaucoup moins fatigant que de cavaler après d’hypothétiques big-bangs orgasmiques.

Mais beaucoup plus simplement, je rêve d’attachés de presse qui me parleraient comme à un être humain. 

Je rêve de communiqués sans fausse complicité, sans prénom, des communiqués qui me vouvoient, écrits par une sexagénaire sympa et épuisée : “ceci est Womanizer standard, mais comme on a vendu les stocks de l’édition précédente, on a changé la couleur. Il marche bien, comme tous les Womanizers. Si les lectrices de votre journal ont perdu le câble de leur modèle actuel, peut-être apprécieraient-elles d’en racheter un nouveau, qui fera son honnête et patient job de sextoy, jusqu’au moment où il finira abandonné dans un tiroir au milieu de moutons de poussière. Il coûte 49 euros. Voici le dossier de presse. Je ne vous relancerai pas. Adieu.”

Je mettrais l’info dans un coin de mes archives, et je garderais mes forces pour les (vraies) révolutions à venir.

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